STÉPHANE BLANQUET

« DANS LES TÊTES DE STÉPHANE BLANQUET » 

JUSQU’au 2 JANVIER 2022
Halle Saint Pierre


 

Une exposition en 2 temps  :

  • du 5 septembre 2020 au 2 janvier 2022, au rez de chaussée, une exposition évolutive : tous les quatre mois, Stéphane Blanquet présente de nouvelles œuvres – installations, œuvres peu montrées, tapisseries, totems, de nouvelles têtes -.

  • du 19 mai 2021 au 2 janvier 2022, exposition TRANCHEE RACINE, Stéphane Blanquet investit l’espace à l’étage avec une cinquantaine d’artistes du monde entier – peintres, collagistes, dessinateurs … -. 

  • Durant l’exposition, Stéphane Blanquet éditera un hebdomadaire,
    La Tranchée Racine, excroissance graphique, en couleurs, de exposition, présentant les œuvres de près de 500 artistes du monde entier.


    LE CATALOGUE


    Textes de Martine Lusardy, Vincent Ravalec, Gilbert Lascault.
    édition bilingue (français / anglais)

    20 x 26 cm (relié, couv. toilée)
    360 pages (ill. coul. et n&b)
    Disponible à la librairie de la Halle Saint Pierre : 25.00 €

     

    L’HEBDOMADAIRE

    La Tranchée Racine, numéro 1 spécial Stéphane Blanquet
    12 pages – 47,5 x 66 cm- 5€
    (disponible à la librairie de la Halle Saint Pierre)

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DANS LES TÊTES DE STÉPHANE BLANQUET

Par Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre

Présenté à la Halle Saint Pierre en 2011/2012 dans le cadre de l’exposition HEY! modern art & pop culture par Anne et Julien, Stéphane Blanquet y conçut spécialement une installation. Celle-ci portait très haut l’enjeu de l’exposition : affirmer la vitalité de ces expressions artistiques individuelles et autonomes qui rompent avec les conventions et les codes dominants et renversent les valeurs établies du “beau” et du “laid”, du bon” et du “mauvais” goût. L’artiste revient aujourd’hui en nos murs déployer son imaginaire tentaculaire : une carte blanche qui sera également pour lui l’occasion d’inviter des artistes avec qui il partage le même goût pour notre humanité souterraine.

Dessinateur, plasticien, metteur en scène, réalisateur, Stéphane Blanquet a derrière lui un long parcours dans le milieu de l’édition où il a fondé en 1990 le mythique Chacal Puant, primé au festival de la BD d’Angoulême en 1996 pour le graphzine La Monstrueuse puis les United Dead Artists. Considéré comme l’une des figures majeures de la scène artistique underground, son univers tourmenté déborde largement du cadre de sa production graphique. Installations, spectacle vivant, scénographie, cinéma d’animation, costumes et décors de théâtre, jouets, poupées et autres objets atypiques et subversifs, ombres chinoises, sont autant d’espace de création où Stéphane Blanquet signifie son parti pris : « La sous-culture est plus pernicieuse, plus virulente, plus vicieuse que l’art. L’art on sait où le trouver, il est au chaud, même s’il se dit violent ou anarchiste, il restera bien au chaud sous ses dorures. La sous-culture, elle, ne fait pas semblant, ne se donne pas de médailles, ou alors en chocolat. La sous-culture est toujours en danger, cachée dans la jungle, entre un paquet de lessive et des jouets en plastique bon marché. Même si parfois je flirte avec le milieu chaud et confortable, même si j’y glisse un doigt ou bien même un bras, le reste de mon corps est dans les intempéries des sous-sols ».
Les sous-sols seraient donc l’univers matriciel de Blanquet, un underground culturel réel où naissent ses images abrasives, mais aussi le lieu symbolique d’où provient la voix qui les anime. Ses influences seraient à chercher du côté de la bande dessinée érotique bon marché des années 70 à 90, notamment celle du sulfureux éditeur français Elvifrance. Cette littérature de gare licencieuse, au sexe explicite et à l’horreur débridée, aura été une inspiration directe.

L’exploration artistique de nos mondes psychiques et mythiques selon Stéphane Blanquet met à découvert ce que nous pensions connaître : le monde des pulsions, du sexe et de l’organique « Si on regarde bien, je dessine une brindille comme si c’était un organe, de l’herbe comme des poils, c’est une vision organique de tout, tout transpire plus ou moins, et tout est vivant… Et puis, il est bien plus passionnant de dessiner, de faire vivre des morceaux, cela devient comme des paysages, falaises de gorges, forêt de vulves, ça devient plus intéressant qu’une petite balade dans la campagne ». Ce langage issu des profondeurs du corps humain est à même de rendre accessibles l’indicible, l’impensable, l’inavoué.  Mais si Éros est ici généreux, s’il sécrète dans une joyeuse abondance, sa force vitale et créatrice n’en est pas moins inquiétante dans son engendrement jusqu’à l’obscène, dans sa prolifération jusqu’à la monstruosité. « Vomir sa propre œuvre, face au vide, face à l’encre épaisse, face à son propre dégoût, soi- même, c’est là qu’est l’impact. Face à face. Être seul et vomir sa propre mélasse, son propre jus, noir ou rouge, pourvu qu’il ne soit pas transparent ». Le corps, pour Blanquet, est instauré en une réserve de vitalité inépuisable, une véritable usine où chaque organe ne s’arrête pas à une fonction biologique mais prend alors un statut expressif, dévidant sur le monde environnant ses sécrétions symboliques. Le désir s’impose-t-il avec trop de force ?  Il doit alors faire exploser les têtes, les sexes, les faire cascades de liquides.

Le monde selon Stéphane Blanquet est un monde réduit à ses soubassements pulsionnels et organiques.  Mais l’artiste en établit sa propre topographie, créant dans un style exubérant, presque effrayant, de nouvelles relations entre les mots, les images et les corps. Il les dévoile autant qu’il les recouvre par leur étrangeté cruelle, grotesque, excessive.  Un extrême que l’on retrouve déjà dans nombre de ses titres : Goudron Pressage – Sillon Tympan, Vide point . rose trou, Mâchoires noires, Blanquet gangrène Tokyo, Blanquet s’ouvre la panse, Labyrinthique intestin, Chambre avec vue sur mes cauchemars, Rendez-vous Moi en Toi, La Vénéneuse aux deux éperons,  Chocottes au sous-sol !, La nouvelle aux pis, Viande froide et Cie, Le Fantôme des autres, Mon méchant moi, Monographie lacrymale.

Blanquet choque, provoque, trouble, aime créer le malaise en manipulant nos frustrations et ses propres obsessions. Son univers torturé, angoissé est peuplé d’hommes, de femmes et d’enfants que nous voyons habités par le démon de la perversité. Mais cette tension entre innocence et cruauté, entre jubilation sexuelle et pulsion de mort n’est pas désespérance sans issue. Blanquet fait la peau au refoulé, ressuscite la chair, les corps délivrés de la culpabilité et de la peur de mourir.  
« S’user jusqu’à la corde, raide, raide et rouge. La radicalité d’une œuvre n’est pas collective, elle ne peut l’être, elle est avec soi-même, sans posture, à poil devant la mort ».


Présentation de l’exposition par Stéphane BLANQUET

Il est très rare que l’on vous donne les clefs d’un lieu pour l’investir entièrement, sur une longue période, en vous laissant libre de s’y déployer de bas en haut, sur tous les murs, dans tous les espaces, de l’investir avec des images, des dessins, des sculptures, des expérimentations visuelles, des couleurs et lumières rouges vives, des nouvelles pièces rêvées pour le lieu. Il faut l’investir, se répandre, s’ouvrir soi-même et aller chercher sa propre matière. C’est à l’intérieur de soi que ça se passe, à l’intérieur de moi que sont mes images, mon univers, mes univers. Une tête ne suffit pas à contenir toutes mes envies, il m’en faut toujours plus, comme à mon habitude, plus de tout, plus de couleurs, plus d’espace, et évidemment plus de têtes. Plus d’univers nécessite / appelle / exige / signifie plus de têtes.

Dans les têtes de Stéphane Blanquet – dans mes têtes.
Une exposition d’un an ne peut pas rester statique, je suis trop agité pour la laisser dormir confortablement. Il me faut de l’inconfort et mon inconfort sera généreux. Diviser un an en trois temps, exposition évolutive en trois moments, tous les quatre mois réinvestir l’espace, le faire évoluer avec de nouvelles images, de nouvelles installations, des œuvres peu vues, des nouvelles tapisseries, des nouveaux totems, de nouvelles têtes. Pourquoi s’arrêter là ? Ce n’est pas suffisant, ce n’est jamais assez, alors déployons. Au-dessus de moi, à l’étage, au-dessus de mes têtes, je veux montrer d’autres univers, des univers frères, des univers sœurs. Des invités du monde entier. Des peintres, des collagistes, des dessinateurs, des artistes du monde entier, en deux expositions successives, une cinquantaine d’artistes. Il faut se déployer dans la générosité. Donc, en même temps que les murs, lancer un journal, un hebdomadaire, La Tranchée Racine. Chaque semaine, sur toute la durée de l’exposition, une excroissance graphique, en couleurs, imprimée sur un beau papier. 40 numéros, 500 artistes du monde entier. Il faut au moins ça, c’est un minimum. Il faut le maximum. Dans mes têtes, c’est comme ça.

STEPHANE BLANQUET

Artiste plasticien, dessinateur, créateur multimédia… Stéphane Blanquet (1973) développe un foisonnement d’images, de formes et de sons depuis la fin des années 1980 : œuvres d’art, installations, spectacle vivant et scénographie, édition indépendante, art urbain, cinéma d’animation, musique… Il enrichit son travail en explorant avec passion les technologies et techniques les plus variées, des plus traditionnelles aux plus avant-gardistes : dessin à la plume, lithographie, tapisserie numérique, outils informatiques…
En 1993, Blanquet, invité par Jacques Noël pour une première exposition solo, présente « Exposition Posthume » au Regard Moderne à Paris. Depuis, son travail est régulièrement montré: MAC Lyon, Singapore Art Museum, Musée des Arts Décoratifs (Paris), Hayward Gallery (Londres), Halle Saint-Pierre (Paris), Museum of Fine Arts Boston (USA)… Récemment, il a présenté des expositions personnelles au Centre Georges Pompidou à Paris en 2016, au Fürstenfeldbruck Kunsthaus (Allemagne) en 2017 et à l’Abbaye d’Auberive en 2018.

Quelques œuvres emblématiques de Blanquet :

  • la grande fresque murale au Museumsquartier de Vienne (Autriche)
  • l’installation immersive « le train fantôme », présentée pour la première fois au MAC Lyon en 2009. Pour la parcourir, les visiteurs doivent prendre place dans des wagonnets et pédaler.
  • la pièce de théâtre « Comment ai-je pu tenir là-dedans ? », co-créée avec Jean Lambert-wild, nominée aux Molières 2010
  • l’installation sonore exposée au Centre Georges Pompidou en 2016 avec la participation de The Residents, Mike Patton, John Zorn, Ikue Mori, Lydia Lunch, Pierre Bastien…
  • la création, en 2018, d’une tapisserie à 4 mains avec l’artiste japonais Tanaami Keiichi, « Unexpected Incident », présentée pour la première fois à l’Abbaye d’Auberive.

    Blanquet met au cœur de sa démarche artistique les échanges avec artistes et créateurs du monde entier : réalisation d’œuvres en collaboration, édition et organisation d’expositions. « United Dead Artists », sa maison d’édition, c’est plus de 140 publications, largement diffusées, présentant le travail de 350 artistes dont Tanaami Keiichi, Manuel Ocampo, David Lynch, Jérôme Zonder…

Focus :

En 2015, Blanquet attaque un projet ambitieux : une série de 40 tapisseries appelée « Les Drames Satyriques » librement inspirée par « Les Désastres de la Guerre » de Goya. Ces tapisseries traitent de la violence des civilisations humaines et de ses corolaires dont la mort. Elles sont réalisées avec des fils de coton, de soie, synthétiques, de lin et d’autres plus surprenants, toujours dans des couleurs soutenues. Les tapisseries ont une taille similaire, environ 170 x 250 cm et un bord rouge. Chacune fait l’objet d’une édition limitée à 8 exemplaires.

Principales expositions :

  • Halle Saint Pierre, Paris (France), « Dans les têtes de Stéphane Blanquet », solo, septembre 2020 à juillet 2021
  • Abbaye d’Auberive (France), « Par les masques écornés », solo, 2018
  • Fürstenfeldbruck Kunsthaus (Allemagne), « New Lung Seeded Inside », solo, 2017
  • LAAC Dunkerque (France), « Musique à voir », collective, 2017
  • Centre Georges Pompidou, Paris (France), « Goudron Pressage . Sillon Tympan », solo, 2016
  • Ferme du Buisson, Noisiel (France), « La Colonne d’Appendices », solo, 2016
  • Halle Saint-Pierre, Paris (France), « L’Esprit Singulier », collective, 2016
  • Singapore Art Museum (Singapour), « Glossy Dreams in Depths », solo, 2013
  • Night Lights Festival (Singapour), « Distorted Forest », collective, 2012
  • Wharf, Centre d’art contemporain de Basse-Normandie, Caen (France), « Le boyau Noir », solo, 2012
  • Musée d’art contemporain de Lyon (France), « Quintet », collective, 2009

Principales publications :

  • « Carnet d’hiver 2017 », United Dead Artists, 2018
  • « Rose trou », Les Crocs Electriques, #101, 2017
  • « Par au dessus dessous », Les Crocs Electriques, #30, 2017
  • « Rendez-vous Moi en Toi », United Dead Artists, 2014
  • « Le Boyau Noir », Editions du Wharf (Centre d’art contemporain de Basse-Normandie), 2011
  • « Monographie lacrymale », Edition de l’An 02/Actes Sud, 2005 (préface Gaspar Noé)
  • « Rétrographie », Maison de la culture de Tournai, 2001

Articles récents :

  • Les Nouvelles de l’Estampe, N°257, hiver 2016/2017, article de Lise Fauchereau
  • Soixante-Quinze, N°5, septembre 2016, article de Philippe Schaller
  • Raw vision, #90, Summer 2016, article de Alla Chernetska



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Le monde selon Roger Ballen

LE MONDE SELON ROGER bALLEN
nouvelle présentation du 6 AOÛT 2020 au 3 janvier 2021
 
The world according to Roger Ballen 
New presentation from AUGUST 6, 2020 to January 3, 2021

Téléchargez le dossier de presse ici

 

Catalogues français et anglais disponibles à la librairie de la Halle Saint Pierre

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Le monde selon Roger Ballen
Par Martine Lusardy (en introduction du catalogue)

Roger Ballen règne sur le monde noir et blanc de la psyché humaine. Troublante, provocante et énigmatique, l’œuvre du photographe sud-africain d’origine américaine, géologue de formation, exprime le sentiment de confusion de l’homme confronté au non-sens de son existence et du monde même. Ballen enchaîne depuis plus de trente ans les expositions dans les hauts lieux de la culture. Si chacune d’entre elles est un événement, son choix d’exposer à la Halle Saint Pierre, musée atypique consacré à l’art brut et aux formes hors normes de la création, marque son indépendance vis-à-vis des modes artistiques. Pour la Halle Saint Pierre la collaboration avec Roger Ballen est une invitation à mettre à l’œuvre – ou à l’épreuve – cette altérité artistique et culturelle que représente l’art brut. L’artiste n’a cessé de soutenir dans son rapport à la création un art qui s’origine dans les couches profondes de l’être humain ; il n’a cessé de tendre, à la manière d’Antonin Artaud, vers un art d’appel à l’origine.

C’est dans les hors-champs de la culture, ceux de la claustration et de  l’exclusion, que Jean Dubuffet va reterritorialiser l’art, avec l’idée qu’il y est plus authentique et singulier. Créateurs réfractaires ou imperméables aux normes et valeurs de « l’asphyxiante culture » sont les hérauts d’un nouveau rapport au monde dont ils défrichent les potentialités inexploitées. Pour eux la création est une protestation de la vie devant la menace du néant. La dimension singulière de cette expérience humaine, parce qu’elle s’inscrit dans des objets artistiques improbables mais à même de représenter cet appel d’être, ne peut être accueillie qu’avec sa charge d’étrangeté et d’inquiétude. L’esprit du temps se reconnait dans cet art extrême et il faut alors oser les emprunter les chemins qui y conduisent, réinventer les formes et le langage qui les rendent sensibles et supportables. Penser avec l’art brut offrirait une direction possible pour nos quêtes de vérité et de sens.

« Mes 18 ans furent l’âge où je connus un désir existentiel profond que rien ne pouvait apaiser, ni d’avoir grandi dans une banlieue juive ni mon éducation », écrit Ballen dans Ballenesque (2017). « Comme beaucoup de personnes dans le milieu de la contre-culture, je ressentais le besoin de rompre avec le matérialisme de la société occidentale […] de poursuivre comme Conrad la quête du « cœur des ténèbres », de chercher le nirvana à l’Est. À l’automne 1973, presque sans prévenir, je quittai les États-Unis pour un voyage de cinq ans qui me conduisit sur les routes du Caire à Cape Town, d’Istanbul à la Nouvelle-Guinée. » De retour aux États-Unis en 1977, Ballen y termine son premier livre de photographies, Boyhood (1979) – vision personnelle du thème intemporel de l’enfance –, et obtient en 1981 son doctorat en économie minière. L’année suivante, il s’installe en Afrique du Sud, à Johannesburg, mais la sécurité matérielle que lui procure le métier de géologue ne met nullement un terme à ses interrogations sur le sens de la vie. Et c’est muni de son appareil photo qu’il se livre à une autre activité : l’investigation d’une Afrique du Sud pauvre et profondément rurale, une Afrique refoulée, comme métaphore d’un voyage introspectif, identitaire et esthétique.

Lorsque Roger Ballen photographie ces Sud-Africains marginalisés par la peur, la misère et l’isolement, il transforme le temps de ceux-là mêmes qui vivent dans le monde du geste répétitif et absurde en un autre temps où ils deviennent les auteurs d’un univers plastique qu’ils ont engendré.

Dans Dorps, Small Towns of South Africa (1986), Ballen nous montre ces petites villes d’Afrique du Sud en pleine décadence, avec leurs architectures et leurs habitants. Attiré par « leur gloire croulante et décolorée avec leur avant-goût de décrépitude et leurs restes de promesses inaccomplies », il entre littéralement et métaphoriquement dans cet univers dont il enregistre les anomalies visuelles et culturelles comme les signes d’une culture agonisante. Puis il dresse avec Platteland (1994) le portrait réaliste et pitoyable du monde rural pendant l’Apartheid. Il photographie dans leur quotidien et leur intimité les protagonistes d’un désarroi politique, économique et racial avec leurs dégâts physiques et psychiques. Mais plus que les événements eux-mêmes ce sont leurs manifestations comme drames visuels qui, à ses yeux, font sens. Beaucoup de murs qu’il a photographiés revêtent selon lui la qualité d’œuvres d’art et auraient leur place dans un musée. Pour le photographe, il ne s’agit donc pas seulement d’une prise de conscience mais aussi d’une prise de vision. En effet, bien qu’habitées par une force documentaire et sociale inévitable, ses photographies ne sont pas des images déterminées socialement. L’acte de photographier s’impose, non comme un témoignage, mais comme un devoir de transfiguration. Ce sont les profondeurs de l’âme humaine que la photographie de Roger Ballen explore, là où le monde qui a perdu le sens de l’équilibre a laissé le trouble de sa trace.

Depuis 1995, les expérimentations visuelles de Ballen rendent continuellement incertaines les frontières entre réalité et fiction. Passant d’une esthétisation du réel à une esthétisation de l’inconscient, sa photographie creuse un paysage mental qui n’est pas sans évoquer les paysages mentaux de Dubuffet, ces « paysages de cervelle » par lesquels le peintre visait à restituer le monde immatériel qui habite l’esprit de l’homme[1]. Mais c’est surtout avec le théâtre de Samuel Beckett, à qui il consacra un film en 1972, que l’ensemble de l’œuvre de Roger Ballen entre en résonance. Il exprime un même sentiment de confusion et d’aliénation face à un monde incompréhensible et irrationnel où l’homme désarmé, dépossédé, porte en lui le poids de la condition humaine. Tout comme Beckett, Ballen rend cette réalité dans toute sa cruauté et son absurdité.

Outland en 2001, Shadow Chamber en 2005 puis Boarding House en 2009 marquent la mise en place lucide d’un style et d’un vocabulaire uniques. Ballen introduit la mise en scène où il projette ce vertige existentiel. Sous le théâtre la vérité. Les marginaux avec qui il interagit et avec qui il a construit au fil du temps des relations fortes de sympathie deviennent eux-mêmes les acteurs drôles et pathétiques de ses psychodrames, non plus dans un contexte social mais dans un univers plastique et créateur. Leurs gestes, leurs préoccupations, intensifiés, semblent dépourvus de sens. Leurs corps – « véhicules de l’être au monde » pour reprendre les termes de Merleau-Ponty –, amoindris, décrépis, déformés, puis n’existant que par fragments témoignent de leur désarroi d’avoir perdu l’évidence de leur relation au monde.

Tous ces personnages sont représentés dans des espaces cellulaires indéterminés, crasseux et poussiéreux, sans fenêtres ; seul le mur, omniprésent, en délimite le cadre tant physique que mental. Support de signes, de dessins, de graffitis, le mur, maculé, enregistre les récits, les croyances, les fuites impossibles. Tout comme les animaux, les objets fatigués – dérisoires ou insolites – sont élevés au rang de protagonistes surréalistes d’une scène dont ils brouillent encore plus le sens. Les fils métalliques, électriques, téléphoniques, suspendus, emmêlés, par leur manifestation récurrente, envahissante, obsessionnelle, sont comme autant de symptômes de liens perdus. L’absurde domine l’espace et le structure. Peu de choses sont laissées au hasard comme l’explique Ballen : « Quant au format carré, c’est à mes yeux la forme parfaite. Il y a un idéal géométrique dans le carré. Tous les éléments sont à égalité, ce qui m’est primordial. Chez moi, ce sont les formes qui comptent, mes photos se jouent dans leurs correspondances. » Mais rien n’a de sens apparent tout comme l’écriture de Beckett bouleversant les constructions et fonctions grammaticales usuelles.

Fruit de plusieurs années de travail, Asylum of the Birds, dramatique et onirique, est le lieu métaphorique à la fois du refuge et de l’enfermement. La condition humaine s’y raconte en l’absence de l’homme. Dans un décor de décharge abandonnée, quelques êtres égarés, corps morcelés ou privés le plus souvent de leur verticalité, cohabitent avec une colonie d’animaux. L’oiseau, maître des lieux, libre, assiste à l’effacement de la vie humaine. L’humanité ne résiste que par sa trace : figures de son double – poupées, mannequins, masques ; objets démantelés, rescapés d’une vie antérieure dont ils ne sont plus que la mémoire ; dessins tracés sur les murs, témoins de l’antique geste de recréer le monde. Évoquant la série des non-lieux, œuvre ultime de Dubuffet à l’inspiration profondément nihiliste, Asylum vise à représenter non plus le monde mais l’incorporalité du monde, ce néant peuplé des fantasmes et fantômes que nous y projetons.

La référence au monde réel disparaît même dans le Théâtre d’apparitions (2016). Dans les images de ce livre qui occupent un espace entre la peinture, le dessin, la photographie, la figure humaine est spectrale, réduite à ses pulsions, ses désirs et ses angoisses.

Au fil des années s’est mis en place le monde selon Roger Ballen, né de et dans son rapport à la photographie. Nul doute que la rencontre avec la réalité sociale et psychologique de l’Afrique du Sud, en particulier de ses « dorps » fut pour lui une expérience fondatrice : « La découverte de tels lieux signifiait pour moi que j’aurais à y revenir souvent, attiré là par des raisons inexplicables. » Si trouble il y a devant ces univers perçus pour leurs valeurs plastique et esthétique, c’est que, situés en deçà des événements historiques, ils mettent à nu ce sentiment d’aliénation ressenti dans un monde où les êtres sont exilés d’eux-mêmes. Mais il faudra que l’image se libère de son caractère indiciel pour que l’imaginaire « ballenesque » puisse se réaliser comme métaphore de la condition humaine. Un imaginaire que l’artiste prolongera dans la vidéo et l’installation comme théâtralisation de sa vision dystopique du monde. L’entre-deux, lieu de l’incessant va-et-vient entre animé et inanimé, réalité et fiction, humanité et animalité, présence et effacement, nous mène à un espace intérieur aux frontières incertaines. « Mes images ont de multiples épaisseurs de sens et pour moi il est impossible de dire qu’une photographie concerne autre chose que moi-même », aime à rappeler Ballen en écho aux mots de Dubuffet : « L’homme européen ferait bien de détourner par moments son regard, trop rivé à son idéal d’homme social policé et raisonnable, et s’attacher à la sauvegarde extrêmement précieuse à mon sens, de la part de son être demeurée sauvage. »

  • Martine Lusardy, commissaire de l’exposition
    *
    [1] Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, réunis et présentés par Hubert Damisch, t. II (1944-1965), Paris, Gallimard, 1967 (1986)

Roger Ballen est « Lauréat du programme de résidences internationales Ville de Paris aux Récollets » 2019

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Dans l’esprit de Roger Ballen | Artiste Interview | Wladimir Autain

The world according to Roger Ballen
New presentation from  August 6, 2020 to January 3, 2021
Press Kit 

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HEY! 4

HEY! MODERN ART & POP CULTURE #4

23/03/19 – 02/08/19
DOSSIER DE PRESSE ICI

Halle Saint Pierre 
Ouvert tous les jours

La Halle Saint Pierre présente HEY!#4, exposition qui continue de prospecter
et faire connaitre la scène artistique alternative.

Hey ! #4 poursuit l’association, initiée en 2011, de la Halle Saint Pierre avec
Anne & Julien, créateurs de la revue HEY! modern art & pop culture.

Cette quatrième édition de Hey! sera l’occasion de découvrir
36 artistes de « l’outsider pop »,
courant artistique encore très peu montré en France.

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PRÉSENTATION DE L’EXPOSITION
PAR MARTINE LUSARDY

Une histoire singulière en partage

« Dès 1995, lors de l’exposition Art Brut et Cie, la face cachée de l’art contemporain , Anne & Julien se firent la caisse de résonance de cet événement fondateur, le répercutant dans les zones bouillonnantes de la contre-culture. Si aujourd’hui l’art brut et les formes hors-normes de la création sont sortis de la confidentialité sous l’effet d’une triple reconnaissance – de l’institution, de l’université et du marché –, c’est aussi grâce à la curiosité et l’engagement de ces deux agitateurs. Dans le même temps, face à sa confrontation confuse avec l’histoire de l’art contemporain et à la spéculation offensive du marché, ce sont de tels défenseurs avertis, inquiets des dérives et amalgames, qui ont permis à l’art brut de conserver sa spécificité.

La création de la revue HEY! modern art & pop culture en 2010 fut l’occasion pour la Halle Saint Pierre d’élargir son projet artistique en accueillant dans une série d’expositions les « outsiders pop », cette myriade de mouvements figuratifs contemporains révélés au public français par Anne & Julien. Nul autre lieu ne pouvait
imaginer et mettre en œuvre la synthèse audacieuse de la scène artistique alternative. Des figures séditieuses du lowbrow art nourries de l’iconographie des médias populaires aux fantasmagories du pop surréalisme redécouvrant l’héritage des grandes traditions picturales, des activistes du street art au tatouage, des échappées individuelles et solitaires de l’art brut aux expressions raffinées et libertaires d’un « œil à l’état sauvage », les marges artistiques y étaient présentées dans leur diversité et leur complexité.

Trois expositions – 2011, 2013 et 2015 – ne semblent pas avoir été suffisantes pour donner à voir l’étendue des genres et des familles que constitue cette autre scène artistique. C’est donc avec la même passion que nous nous associons à nouveau pour en rendre compte géographiquement et historiquement. En compagnie de la trentaine d’artistes réunis, nous pourrons expérimenter la portée libératrice de leurs œuvres tant elles sont une porte ouverte sur notre espace imaginaire, cet irréductible en chacun de nous ».

Martine Lusardy, Directrice de la Halle Saint Pierre, Commissaire d’exposition.

 

LES ARTISTES DE L’EXPOSITION 
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Vasilis Avramidis (Grèce)
Gil Batle (États-Unis)
Jürg Benninger (Suisse)
Nils Bertho (France)
Troy Brooks (Canada)
Chen M (Belgique)
Maryrose Crook (Nouvelle-Zélande)
Mikaël De Poissy (France)
Fulvio Di Piazza (Italie)
Claire Fanjul (France)
Alessandro Gallo (Italie)
Séverine Gambier (France)
Davor Gromilovic (Serbie)
Masayoshi Hanawa (Japon)
Filip Hodas (République tchèque)
Nancy Josephson (États-Unis)
Kris Kuksi (États-Unis)
Brigitte Lajoinie (France)
Mathieu Lewin (France)
Lizz Lopez (États-Unis)
mad meg (France)
Gerard Mas (Espagne)
Mothmeister (Belgique)
Heather O’Shaughnessy (États-Unis)
Agathe Pitié (France)
Osvaldo Ramirez-Castillo (Canada)
David Rochline (France)
Shelter Shirrstone (Russie)
Heidi Taillefer (Canada)
The Kid (Pays-Bas, Brésil)
Paul Toupet (France)
Yannick Unfricht (France)
Henriette Valium (Canada)
Nathalie Verdon (Suisse)
Quan Wansanit Deslouis (Thaïlande)
Betsy Youngquist & R. Scott Long (États-Unis)

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+ d’infos sur HEY! MODERN ART & POP CULTURE

Art Brut Japonais II


Takeru AOKI, Aki Yashiro, 1997-2004. ©Satoshi Takaishi

Dossier de presse ICI 


PRÉSENTATION

A l’occasion du Tandem PARIS-TOKYO*, la Halle Saint Pierre présente la seconde édition de l’exposition Art Brut Japonais, huit ans après le grand succès du premier volet.

A l’heure où l’art brut trouve la place qui lui est due sur la scène de l’art contemporain, le Japon  contribue à porter ce phénomène artistique au-delà de son ancrage originel occidental.

Une cinquantaine de créateurs témoignent qu’au sein de toutes les cultures, il y aura toujours des personnes assez singulières et individualistes pour inventer leur propre mythologie et  leur propre langage figuratif.

Issus d’ateliers ou œuvrant de façon autonome et indépendante, ces créateurs, souvent confrontés à un isolement mental ou social, utilisent toutes les techniques, tous les matériaux, détournant même les codes les plus traditionnels de la céramique ou de l’origami.

Les œuvres présentées dans l’exposition sont le fruit de nouvelles prospections. Seul Sinichi Sawada, figure emblématique de l’art brut japonais, qui connut la consécration  lors de la Biennale de Venise 2013, revient, apportant avec de nouvelles œuvres la démonstration que les ouvrages d’art brut sont, comme le notait Jean Dubuffet «l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions».

Martine Lusardy, commissaire de l’exposition


LES ARTISTES

Catalogue disponible à la librairie de la Halle Saint Pierre.
Prix : 30€

* Le Tandem Paris-Tokyo 2018 est mis en œuvre par la Ville de Paris, le  et l’Institut Français, en partenariat avec l’ambassade de France au Japon.

PARTENAIRES

L’exposition a reçu le soutien du Social Welfare Organization Aiseikai et de :